Âmoureuse                  (texte)

- Création 2015 - 


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 Âmoureuse

(Entrée groupée du public).


Vidéo : a) nouveau début (10:52)


(Une jeune femme est déjà sur scène. Derrière elle, un texte défile sur un écran) : 

 

« Vous ne me connaissez pas. »


« Pourtant, que vous le vouliez ou non, vous vous êtes déjà fait une opinion sur moi. »


« En un dixième de seconde, votre cerveau sait déjà si vous me trouvez sympathique, intéressante, jolie… ou non. »


« Il vous faut accepter de ne pas être maître de vos sentiments. »


Vous allez bien ?

Oui. 

C’est tout à fait normal si vous êtes un peu intimidés.

Après tout, on ne se connaît pas encore très bien… Enfin… 

pas tous…


Je vous en prie, asseyez-vous… 

Non, oui, restez assis, 

c’est moi qui…


En fait, 

c’est moi qui… 

suis intimidée.


C’est la première fois pour moi aussi…


Vous aussi vous avez un peu peur ?


Oh non mais ne répondez pas !

Rien ne presse…

Il faut laisser le temps agir avant de… 

briser la glace.

 

Vous et moi, on ne brisera pas la glace. 

On va la laisser fondre… 

Patiemment.


(Un temps. Elle regarde les mains d’une personne dans le public).


Vous avez de belles mains. C’est la première chose que je regarde chez…


(Un temps).


Je suis très émue que vous vouliez vous prêter à cette expérience… 

avec moi.

Enfin « cette expérience »…

Non.

Plutôt cette euh… performance.


Puisque l’idée, c’est d’en faire un acte artistique.


Vous verrez. 


En tout cas, quelque chose… 

de très très très agréable.


Et je ne dis pas ça parce que c’est moi.
Tomber amoureux, c’est très agréable. Avec moi ou avec qui que ce soit d’autre.


Mais ce soir ce sera avec moi.


Vous allez bien ?


Je lis des livres. Beaucoup de livres.

Et c’est dans ces livres que j’ai découvert que le coup de foudre 

c’est pas tellement un coup de coeur. C’est plutôt un coup de tête.


 Vidéo : b) Hypothalamus (04:58)


Tout se passe dans la partie basse du cerveau, une région en forme d’entonnoir, à peu près de la taille d'un ongle, qu'on appelle l’hypothalamus.  


Quand on branche des électrodes sur la tête d‘un individu en train de tomber amoureux, c’est l’hypothalamus qui s’active, la zone s’allume.

Alors en schéma, ça se symbolise par une petite lumière rouge.


Et moi, j’ai fait installer dans le plafond de cette salle (ne regardez pas, c’est du théâtre), j’ai fait installer dans le plafond un scanner géant et vous êtes actuellement en train de vous faire traverser par une résonance magnétique au niveau du haut de votre personne. 


Et si maintenant, je connecte la télévision à l’IRM, 


Vidéo : c) cerveaux 0 (05:00)


nous allons voir apparaître vos cerveaux. 


(L’image de plusieurs cerveaux répartis dans l’espace apparaît sur l’écran.)


Voilà.

Hum… Donc, je ne suis pas surprise.

Pour le moment aucun hypothalamus n’est activé.

Mais à la fin de cette soirée, vous aurez tous droit à votre petit point rouge.


Parce que je vais manipuler votre cerveau, votre corps, vos perceptions, pour les obliger à être réceptifs à moi. 

Et vous allez m‘aimer.


Alors certes, vous allez me dire : « Ouais… Bof… Pourquoi elle ? »

C’est sûr.

Pourquoi tomber amoureux et amoureuses de moi précisément ?

Je suis pas particulièrement une bombe, je suis pas débordante de charme, j’ai pas un humour hors du commun, je ne dégage pas forcément une fragilité touchante… 

Alors pourquoi vous tomberiez amoureux de moi ?


Et bien parce que c’est scientifique.

Je vais vous avoir en appliquant une série de théories scientifiques.


Alors pour ceux qui se sentent piégés, il est encore temps de partir MAIS !


Mais.

Mais de quoi vous avez peur ?


Je trouve qu’on fait un grand cas de l’amour finalement…

Moi-même, j’ai connu des moments de profond désespoir assez ridicules quand on y repense.

Et à quoi bon ? Si ce n’est en faire un acte créatif…


Oui, c’est parti de ça :


Vidéo : d) vivre un grand amour + Hulot + cerveau 1 (08:00)


« Vivre un grand amour. 

Amour passager, fou, illégitime, parfait, passionné, aveugle, brûlant, éternel, brisé, profond, immense, transi, fidèle, triomphant, languissant. 

On peut également vivre un amour inqualifiable, ce qui complique un peu les choses. 

J’ai connu plusieurs de ces amours qualifiées. A l’évidence, l’amour est protéiforme. Alors quel adjectif définirait, à lui seul, l’amour de l’expression « Aimer d’amour ». 

Nous étions le 16 septembre 2014, Arte rediffusait « Les pouvoirs extraordinaires du cerveau » et j’y découvrais – ce n’était pas une coïncidence, mais un signe - que les sentiments étaient affaire de stimuli, de neurotransmetteurs et d’hormones, le tout analysé et piloté par cette tête froide qu’est notre cerveau. 

Je tenais une piste et j’étais bien décidée à la suivre. 

Et si je remontais la mécanique de l’amour à l’envers. Si en interprétant les effets je provoquais le sentiment ? Si je menais l’expérience à grande échelle, sur un public par exemple ? Si je faisais de mon tout nouveau savoir, un spectacle ? Un acte créatif… »


(Elle plonge la main dans le vase pour en retirer le doudou qu’elle essore).


Alors !

Je vais commencer par votre sens olfactif.


On a longtemps pensé qu’en tant qu’espèce animale supérieure, l’Homme ne sécrétait pas de phéromones. Que c’était réservé aux papillons.


Moi, je sécrète beaucoup de phéromones…

Et je vais à présent vous éclabousser avec.


(Elle secoue son tissu mouillé devant leurs visages.)


C’est frais !


Je suis sûre que vous croyez que c’est de l’eau.

Faites-moi confiance ! Moi aussi, je veux tout autant que vous réussir ma performance et que vous tombiez amoureux de moi ce soir !

Donc non, ce n’est pas de l’eau…

J’ai patiemment essoré toutes les petites boules de ouates avec lesquelles je m’étais caress… frottée le corps.


Vous voyez le volume ?

Vous pouvez imaginer le mal que je me suis donné ?

Non.
Vous n’imaginez sûrement pas le mal que je me donne.
D’ailleurs, un de mes analystes le dit : je me donne beaucoup trop de mal et c’est ce côté volontariste qui énerve les autres.

Je vous énerve, là ?


Pardon.

Et pardon aussi parce que je vois bien à vos têtes que ça ne vous plaît pas du tout d’être aspergés de mes phéromones. 


Mais tenez bon. 



(Elle s’arrête devant la femme aux belles mains et semble troublée).


Vous avez vraiment de très belles mains.


Voilà. 

Vous allez bien ?

Vous vous sentez un peu amoureux ?


Oui, c’est tout à fait normal que vous n’osiez pas l’avouer devant tout le monde.

On va plutôt se fier aux hypothalamus, hein !


(Elle se retourne vers l’écran et découvre qu’un des cerveaux s’est allumé).


Hey ! Y’en a un ! C’est déjà quelque chose ! Franchement ? Reconnaissez que c’est pas mal. On est qu’au début de la soirée. Même s’il n’y en a qu’un, c’est déjà une réussite.


Alors ? A qui est ce cerveau ? Parce que là j’ai du mal à reconnaître…

Oh et puis non, ne dites rien. J’adore avoir un admirateur anonyme !


Passons maintenant à votre sens du toucher.


Vidéo : e) cerveaux 2 à 4 (10:00)


(Elle regarde l’homme devant lequel elle s’est arrêtée).


N’y pense même pas.


Non mais on croit que les actrices ça se tripote facile. Mais non. Pas moi en tout cas. Je sais pas pour les autres, j’ai pas beaucoup d’amies actrices…

Enfin j’ai pas beaucoup d’amis tout court, hein ! Je n’ai rien contre les actrices. 


Donc.


Sans surprise, nous allons aborder le sujet des zones érogènes et je vous propose une séance de massage sensuel.


(Elle remonte sur scène et se place près des bougies).


MUSIQUE : Massage hôtesse de l’air (02:30)


« Pendant toute la séance, je vous demande de ne surtout pas me quitter du regard. Restez à l’écoute de mon corps, de mes réactions et de vos sensations. »


(version flamande).


Il est important de créer une ambiance.
Par exemple avec quelques bougies, pour une lumière tamisée.


(Elle montre les bougies).


(version flamande).


Nous allons utiliser une huile parfumée qui rendra les caresses encore plus douces. 


(Elle montre un flacon d’huile de massage).


(version flamande).


L'effleurage est utilisé au début et à la fin du massage, afin d’apaiser le corps.


(version flamande).


Je commence par le visage qui comprend plusieurs zones érogènes. 

Notamment les lèvres, 

mais aussi le nez.


(version flamande).

 

Je descends sur le cou, les épaules et les cheveux.


(version flamande).


Le pétrissage consiste à se saisir d'une zone charnue et à la serrer entre les doigts ; seuls les pouces et le bout des doigts sont en action.


(version flamande).


La percussion s'effectue en tapotant une partie du corps avec ses mains. 


(version flamande).


Les poignets restent bien souples. 


(version flamande).


Cette technique est particulièrement adaptée aux hanches et aux fesses.


(version flamande).


Pour les jambes, comme vous le savez, l’intérieur des cuisses est une zone particulièrement sensible et…


Ça me gène que vous ne vous fassiez pas plaisir vous aussi. »


Bah oui mais enfin Marguerite ! Tu vas pas leur demander de se caresser là non plus !


« Bah si, pourquoi pas ? »


Enfin, tu les vois, là, se chatouiller l’arrière du genou ou se titiller le lobe de l’oreille en espérant atteindre l’orgasme ?!


« Oui. »


(Silence. Elle scrute l’audience).


Nan, moi je crois pas. Je les sens pas.


« Alors tout le plaisir est pour toi et rien pour eux ?!  Et b’in c’est du joli ta perception de l’amour Marguerite… Tu m’étonnes que personne ne t’aime ! »


Hey ! J’ai jamais dit ça. Il y plein de gens qui m’aiment ! 

D’ailleurs, j’en ai déjà 4 alors, hhuhhu !


(Double tek sur les 4 hypothalamus allumés. Elle sourit au public).


Et sinon…

Vous allez bien ?

Et votre chaise, ça va ? 

Vous allez tenir jusqu’à la fin de la soirée ?


C’est important pour ma démonstration. 


Je m’appuie sur une expérience faite en entreprise :


Pendant une réunion, les personnes qui occupent des sièges durs se montrent beaucoup plus agressives que celles installées confortablement. 

Et ces personnes-là - celles qui sont assises dans des fauteuils moelleux - se montrent tolérantes et séduites par les arguments de leurs confrères. 

Quelqu’un ressent de l’agressivité à mon égard ?

Ce n’est rien, c’est juste que vous êtes mal assis. 

Vous pouvez me le dire, je ne me vexerai pas. 

Levez la main ceux qui ont besoin d’un coussin. Allez-y.


Alternative 1 : 

(Certaines personnes lèveront la main).


Ah quand même…


Alternative 2 :

(Personne ne lève la main).


OK. Donc je résume : pas d’agressivité mais plutôt tolérants et séduits. Oui ?

Du coup, faut pas hésiter, hein…

Allez les petits points rouges, on se manifeste !


Bon, où est-ce que j’en suis ?

Oui.

Passons au sens du goût. 


(Elle appuie sur le bouton du micro-ondes et en sortira un broc de chocolat chaud).


Alors là, je vais faire d’une pierre deux coups 

- et je sens que c’est nécessaire parce que vous êtes un groupe difficile ce soir, hein !

Mais c’est pas un reproche ! -

Je vais vous offrir du chocolat… 

pour son côté aphrodisiaque, tout le monde le sait.

Mais en plus, 

sous forme de boisson chaude 

parce que, 

quand on va boire un verre avec quelqu’un pour la première fois, 

comme c’est notre cas ici,

on a tendance à le trouver plus sympathique si on choisit une boisson chaude, qu’un verre de vin blanc, par exemple.


(Elle verse du lait chaud dans des petits verres remplis de Nesquik).


Vidéo : f) Feux d’artifice (10 minutes)


(Elle regarde l’écran).


Alors je vous invite à venir chercher votre chocolat !


Voilà. 


Pour les récalcitrants, et bien je…

Je…


Faites un petit effort.

S’il vous plaît. 

Je ne peux pas tout faire toute seule.


Et puis il faut savoir ce que vous voulez ! 

Vous voulez tomber amoureux de moi ?

Oui ! 

Alors on se donne un petit peu de mal et on boit son chocolat.


(Tout le monde ne viendra sans doute pas chercher un verre).


Vous avez pas l’air de réaliser… Quiconque refuse de boire son chocolat chaud me signifie clairement de ce fait qu’il n’a pas l’intention de laisser ses papilles gustatives être troublées par moi.

Alors si c’est la guerre que vous voulez, je vous préviens, à ce jeu-là, je peux être très forte moi aussi.


Je suis tout à fait cap de sucer des glaçons toute la soirée. 


Moi aussi je peux décider de vous trouver antipathique. Y’a pas de raison qu’il n’y ait que moi qui fasse des efforts. 


Attention ! si vous ne débarrassez pas cette table de ses verres, j’ajoute un glaçon dans le mien. Je déteste prendre les spectateurs en otage, mais là, je ne rigole plus.


Alors on va tous se calmer et se montrer raisonnables. 

Vous débarrassez cette table de ses verres. Merci.


Je vous laisse siroter à votre aise. On fait une petite pause. 


Vous allez bien ?


Vous m’avez trouvée agressive, là, à l’instant ?


J’ai eu un ex qui trouvait que je pouvais parfois être très agressive. D’ailleurs, il est là ce soir dans le public. 


Moi, je ne veux agresser personne, mais je trouve ça tellement dur, parfois, de se faire comprendre. Et surtout en amour. Et surtout dans un couple. 


Je ne suis pas quelqu’un de dur…


Je ne voulais pas être dure avec toi. Je voulais…


Vidéo : g) Manque + cerveaux 5 à 7 (10:00)


Jouer à cache-cache, m'asseoir sur les toilettes pendant que tu prends ton bain et te masser le cou et t'embrasser les pieds et te tenir la main et sortir dîner sans m'énerver quand tu manges dans mon assiette et te retrouver dans un bar et parler de la journée et rire de ta paranoïa et te donner des cds que tu n'écoutes pas et regarder des films épatants et regarder des films nuls et me plaindre de la radio et prendre des photos de toi quand tu dors et me lever pour aller te chercher du café et des bagels et t'emmener à la clinique des yeux et ne pas rire à tes blagues et avoir envie de toi le matin mais te laisser dormir et t'embrasser le dos te caresser la peau et te dire comme j'aime tes cheveux tes yeux tes lèvres ton cou ton

et rester assise sur les marches jusqu'à ce que tu rentres et m'inquiéter quand tu es en retard et m'émerveiller quand tu es en avance et aller à ta fête et y danser à en devenir bleue et me trouver désolée quand je suis dans mon tort et heureuse quand tu me pardonnes et regarder tes photos et désirer t'avoir toujours connu et entendre ta voix dans mon oreille et sentir ta peau contre ma peau et avoir peur de tes colères quand tu te retrouves avec un oeil tout rouge et me serrer contre toi quand tu es anxieux et t'étreindre quand tu as mal et te vouloir rien qu'à sentir ton odeur et te blesser quand je te touche et gémir quand je suis à tes côtés et gémir quand je ne le suis pas et te recouvrir dans la nuit et avoir froid quand tu tires la couverture et chaud quand tu ne le fais pas et m’attendrir quand tu souris et fondre quand tu ris et ne pas comprendre pourquoi tu penses que je te rejette quand je ne te rejette pas et me demander comment tu peux bien penser que ça pourrait un jour arriver et me demander qui tu es mais t'accepter de toutes les façons et parler de la fille qui a traversé l’océan parce qu'elle t'aimait et t'écrire des poèmes et me demander pourquoi tu ne me crois pas et éprouver un sentiment si profond que je ne trouve pas les mots pour l'exprimer et avoir l'idée de t'acheter un chaton et j'en serais jalouse parce que tu t'occuperais plus de lui que de moi et te garder au lit quand tu dois t'en aller et pleurer comme un bébé quand tu finis par le faire et t'acheter des cadeaux dont tu ne veux pas et que je remballe comme d'habitude et te demander en mariage pour que tu me dises non comme d'habitude et que je recommence malgré tout parce que même si tu penses que je ne le souhaite pas pour de bon c'est exactement ce que je veux depuis ma toute première demande et errer dans la ville en trouvant que sans toi elle est vide et vouloir ce que tu veux et me dire que je me perds mais tout en sachant qu’avec toi je suis en sûreté et te raconter ce que j’ai de pire et te donner ce que j’ai de mieux parce que tu ne mérites pas moins et répondre à tes questions quand j'aimerais autant pas et te dire la vérité quand je n'y tiens vraiment pas et chercher à être honnête parce que je sais que tu préfères et oublier qui je suis et chercher à me rapprocher de toi parce que c'est beau d'apprendre à se connaitre et ça mérite bien un effort et m'adresser à toi dans un mauvais allemand et en hébreu c'est encore pire et faire l'amour avec toi à trois heures du matin et peu importe peu importe peu importe comment mais communiquer une peu de l’irrésistible immortel invincible inconditionnel intégralement réel pluri-émotionnel multispirituel tout fidèle éternel amour que j'ai pour toi.

Et me dire tout est fini mais tenir encore dix petites minutes avant que tu ne me sortes de ta vie.


C’est un exercice difficile, la déclaration d’amour…


Ce qui est fou, c’est que, moi, je vous regarde et j’ai beaucoup de tendresse pour vous. 


Pour toi surtout. 

Et toi aussi. 

Et toi. Et toi. Et toi. Nan pas toi. Toi. Toi. Pas toi. Toi. Toi. 


Ce que j’ai ressenti tout à l’heure en vous voyant vous asseoir, c’était très… 

Très étrange. 

Mon rythme cardiaque s’est accéléré, 

mes joues ont rougies, 

(je ne sais pas si vous avez remarqué. J’espère que non), 

j’ai eu très chaud tout à coup, 

j’ai senti la sueur me couler dans la nuque, et descendre lentement et… 


En fait euh…

Bouche sèche, 

mains moites, 

sensation de chaleur, 

coeur qui bat si fort que c'en est presque insupportable…
Tout ça, ce sont les symptômes du coup de foudre !


Nan… Nan… Mais nan…

C’est du trac…


ou peut-être pas…


Pardon. 

Je sais, ce n’est pas prévu dans les termes du… 

Le contrat stipule bien que c’est à moi de vous permettre de tomber amoureux. Pas à vous de me faire de l’effet. 


Je ne sais pas ce qui s’est passé, je suis désolée, vraiment.
Je ne voulais pas vous incommoder. 

Avec mon amour intempestif. 


Mais…

Si on y réfléchit…

C’est bien.

C’est très bien. 

C’est très très bien. 

Ça va beaucoup aider. 


On ne le dira jamais assez : pour aimer, faut d’abord être deux.

Alors, écoutez, j’éprouve quelque chose de très fort et je vais essayer… 

de vous transmettre ça.


Vidéo : h) nouveau transmission de l'amour + cerveau 8 à 10 (05:00)


90% de notre communication émotionnelle est non-verbale alors j’ai pensé que…


Et c’est vrai parce que, rien qu’en vous regardant comme ça, j’apprends une foule de choses !

J’ai longtemps étudié la communication non-verbale. Et donc maintenant, je maîtrise totalement la lecture des signes amoureux. Et parmi vous, je repère pas mal de ces  signes. Ah si si.


Par exemple, vous madame, vous clignez fréquemment des yeux… ça veut clairement dire que vous me désirez. 


Vous tout à l’heure, vous avez passé votre langue sur votre lèvre inférieure de la gauche vers la droite. 

Si si. Vous l’avez peut-être fait sans vous en rendre compte mais en tout cas… vous avez le béguin pour moi !


Vous, vous avez la tête qui se penche dans le même sens que votre regard : vous avez une attirance sincère.


(Pointant quelqu’un au loin) : Alors les dents qui mordent la lèvre inférieure : désir sexuel !


Vous là-bas, vous tripotiez vos cheveux : désir sensuel… c’est bien aussi.

 

Vous qui tirez sur le coin de votre oeil avec votre doigt : désir charnel.


Vous, vous avez les yeux un peu humides : vous ressentez effectivement quelque chose.


Vous, vous n’arrêtez pas de regardez ma bouche, donc là, ça c’est… évident ! 


Vous, tout à l’heure, avec votre doigt posé entre votre nez et la lèvre supérieure : oulala… je vous plaît, hein !


Vous avez envie de m’embrasser ?


Nan, je dis ça parce que pendant un baiser, on libère des ocytocynes. 

Cette hormone réduit non seulement le stress mais surtout, déclenche un réflexe d’attachement.

Et puis embrasser sur la bouche est aussi la seule manière pour le corps de sentir si on est génétiquement compatible avec l’autre. 

Donc, c’est une vision très romantique de s’imaginer qu’on est folle amoureuse d’un type qu’on a encore jamais embrassé. Pour savoir, faut goûter.


Alors… Qu’est-ce qu’on fait ? On s’embrasse ?


(Silence).


Oui, j’avoue que moi aussi, ça m’intimide un peu. 

Mais voyons les choses de manière pragmatique : 

Un baiser, qu’est-ce que c’est ?


Vidéo : i) Les baisers + cerveaux 11 à 13 (06:30)


Quelques milligrammes d’eau, d’albumine, de matières grasses, de sels et de substances organiques. 

Plus une montée d’endorphines et une sérieuse accélération cardiaque due à la peur de s’exposer, et d’affirmer son désir… 


(Elle regarde la vidéo).


On n’est pas obligé d’appliquer toutes les expériences que je propose non-plus.

On peut utiliser des méthodes plus subtiles.

Comme les signes de reconnaissance réciproque : 

des échanges de regards, 

des ébauche de sourires. 


Vous êtes très beau. Dès que je vous ai vu rentrer, je me suis dit : « Oulala, qu’il est beau, lui ! »


Voilà, je viens de vous faire une parfaite démonstration que les femmes sont championnes dans ce domaine.
Vous savez, par exemple, les hommes se plaignent parfois que ce soit toujours eux qui fassent le premier pas.
Mon oeil ! C’est toujours moi qui… euh… pardon…. je voulais dire : C’est extrêmement souvent la femme qui donne en premier l’autorisation de se faire draguer. 

Si c'est l’homme qui fait peut-être le premier pas, c'est la femme qui fait toujours le premier signe. 

Ah oui, les apparences sont parfois trompeuses. 


Il y a tout une série d’attitudes, presque imperceptibles, mais pourtant détectées par les deux partenaires : 

On a les lèvres qui gonflent, 

les pommettes qui deviennent roses, 

les pupilles qui s’agrandissent…


Par exemple, on a les pupilles immenses pendant un orgasme. 

Vous le saviez ? 

Non ?

En tout cas, notre inconscient le sait très bien,

et quand en face de nous on voit un homme ou une femme avec des grandes pupilles toutes noires, ça nous fait un drôle d’effet. 


(Elle prend une lampe de poche qu’elle se braque dans les yeux.)


Par exemple, des chercheurs ont présenté deux photos d’une même personne à des cobayes. La seule différence entre les deux portraits, c’est que sur l’un, la pupille a été retouchée et dilatée. 

Et on a demandé aux cobayes de choisir la photo sur laquelle, selon eux, la personne est la plus attirante. 

Et bien, huit sur dix choisiront la photo retouchée. Parce qu’inconsciemment, ils auront perçu l'expression du désir.


Le désir…


Donc…
Je me dilate, je me dilate.

Et maintenant, regardez-moi dans les pupilles. 

Ça vous fait de l’effet ?

Non ?

Non.

Bah évidemment ! Vous regardez même pas mon visage !


Ah non. Vous croyez regarder mon visage, mais ce n’est pas moi que vous voyez. C’est quelqu’un que vous avez déjà rencontré dans le passé et qui vous fait penser à moi. 


Pour pouvoir se repérer par rapport à ce que je vous inspire, votre cerveau puise dans ses archives personnelles et me colle inconsciemment une étiquette.


Par exemple, si je ressemble, même un tout petit peu, à quelqu’un qui vous a agacé dans le passé, vous m’assimilez.


C’est dégueulasse ! C’est scandaleux ! Vous êtes ignobles ! Comment je fais moi avec ça ?!


(Elle boit un verre d’eau qu’elle puise dans le vase).


Alors maintenant, on arrête les bêtise et on se concentre sur mon visage ! 


Vidéo : j) Nouveau étude du visage + cerveaux 14 à 17 (04:00) 


MON visage. 

Analysez-le et voyez ses points positifs : 


Les visages anguleux sont ressentis comme agressifs. 

Alors que les visages poupins comme le mien sont classés dans la catégorie dignes de confiance… 

mais pas compétents.


Mais moi, j’ai le menton volontaire.

Et puis j’ai un front assez présent, ce qui est une marque d’intelligence.


Enfin, non !

Pas si présent que ça… Juste ce qu’il faut.


(Un temps). 


Encore aujourd’hui, au 21ème siècle,

une femme aura instinctivement le réflexe de cacher ses capacités intellectuelles, 

pour ne pas risquer de dévaloriser l’homme en face d’elle. 

Et rater alors la chance de lui plaire…


(Elle regarde l’écran).


Là, c’est parce que j’ai les cheveux tirés en arrière que mon front à l’air…

 

Pour la forme de mes sourcils, c’est bien simple, je n’en ai pas, ce qui permet d’éluder la question de l’agressivité, l’autorité, la sévérité…


Mon nez. 

Vous savez, le plus souvent nous tombons amoureux des gens qui nous ressemble. 

Du coup, nous avons tendance à choisir des partenaires dont la largeur du nez est comparable à la nôtre. 


(Elle tripote son nez).


Ma bouche. 

Bon.

C’est pas… 


Au moins, elle n’est pas vulgaire !

Mais c’est sûr qu’elle n’est pas pulpeuse non-plus.

Mais peu importe puisque, a priori, la seule chose qui compte, c’est sa position.


Si on présente à des hommes plusieurs photos de visages de femmes et qu’on leur demande de les classer par ordre de préférence, les mieux notées seront celles qui ouvrent légèrement les lèvres. 

Inutile de se moquer, c’est une réaction primitive.


Au risque de me ridiculiser, je vais donc vous laisser me regarder quelques secondes, la bouche entrouverte. 


MUSIQUE : Musique d’ascenseur (1minute)


Je ne sais pas si ça ne marche que sur les hommes ou si ça fait aussi de l’effet aux femmes. 

Désolée mesdames si vous vous êtes ennuyées, sachez que messieurs viennent de vivre un intense moment de plaisir.


Vidéo : k) Elmer + cerveaux 17 à 32 (10:00)


Le fait de vivre ensemble une émotion très puissante, comme celle que nous venons d’avoir, peut amplifier l’attrait pour une personne. 


Alors, je vais essayer de continuer à vous faire vibrer…


MUSIQUE : LLORANDO (1minutes 53)


yo que pense 

que te olvide pero es verdad es la verdad

que te quiero mas mucho mas que ayer

dime tu que puedo hacer

no me quieres ya

y siempre estare llorando 

por tu amor 

llorando por tu amor

tu amor se llevo

todo mi corazon 

y quedo llorando llorando llorando llorando llorando llorando llorando por tu amor


Vous allez bien ?

Comment vous vous sentez ?

Est-ce que vous vous sentez un peu…

amoureux ? 


C’est très difficile de savoir, n’est-ce pas ?


Je crois même que c’est impossible.

Je l’aime, je l’aime pas…

j’ai de l’affection mais pas comme ça… 

tu me plais vraiment mais est-ce que c’est de l’amour ?


(Elle rit).


Comment savoir ?


En tout cas, ce qui est sûr, c’est que…

être amoureux…

ça n’a rien de raisonnable.


C’est…

étrange.


D’être si peu maître de ses sentiments. 


Vidéo : l) Maître de vos sentiments (10:03)


Moi j’ai été amoureuse plein de fois. Mais c’était pas réciproque. Ou l’inverse. C’était moi qui étais pas amoureuse. Alors que c’était des gentils garçons. Mais on choisit pas.


Par exemple, il y avait Théo, qui me faisait toujours des surprises qui rataient : 


« Je n’allais pas les laisser faner sous prétexte qu’on ne se verrait pas ce soir quand même ! 

Gros bisou et bon week-end ! »


Ou, lui, il s’appelait Bertrand :


« Marguerite, 

Je t’écris ici avec l’encre de mon coeur. »


Enfin, ouais, non, là, rien que là, tu t’arrêtes…


Tomas, qui m’écrivait des poèmes en espagnol : 


« Bajan sus manos, dudando, cerrandose y abriendose. 

Suben sus brazos, muy suavemente… »


Piout !


Et puis sinon, a contrario, y a eu Quentin, que j’aimais terriblement, mais lui pas : 


« Coucou Marguerite,

C’est vrai !

Je ne donne pas beaucoup de chance à notre histoire d’exister, de s’enrichir de moments de partage et de rencontre en dehors d’un lit.

Pourquoi ? Je n’en sais trop rien. Pas envie ? C’est un peu court. Cela me laisse perplexe. Je ne ressens pas les symptômes de l’amoureux. Je n’ai pas mal au ventre, je ne suis pas stressé de comment tu me perçois. J’en suis confus, vu l’intimité que nous partageons. J’éprouve de grosses difficultés à me projeter avec toi dans l’avenir. Je ne sais pas trop pourquoi mais je me vois mal en couple avec toi. Peut-être que je n’essaye pas non-plus. Si pour moi notre relation a peu de sens, il n’en reste pas moins que j’apprécie tous les instants passés avec toi et que je ne désire pas qu’ils s’arrêtent. Il me semble aussi utile de taper sur le clou que j’ai apprécié tous les instants, y compris ceux en dehors d’un lit ou d’un balcon. »


Pfff…


Vidéo : m) cerveaux gagnants (08:00)


Je ne comprends pas ce que je fais de mal. 

Moi, je voudrais juste qu’on tombe amoureux de moi.

Pourquoi y’a que moi pour penser à moi ?

Je voudrais mourir !

Mais pas maintenant. 


Bon.


Vous voulez que je regarde les hypothalamus ?


(Avec presque du mépris) : Franchement, c’est…

Bon.


(Elle se retourne lentement vers l’écran et découvre que chaque cerveau possède son point rouge.)


Oh ! Oh ! 

Oh ! C’est pas vrai !


(Elle se retourne à nouveau vers le public).


Vidéo : n) Oscars (10:00)


Oh ! Je sais pas quoi dire !

Je suis vraiment émue !

Bah…
Merci, ça me touche beaucoup.

Moi aussi je vous aime.

Je vous aime très fort. Très très fort.


Je n’avais pas prévu de discours, je ne sais pas quoi dire…


Je voudrais remercier euh… ma mère, sans qui tout ça n’aurait pas été possible… le Docteur Jean-Didier Vincent, membre de l'Académie nationale de médecine, l’entomologiste français Jean-Henri Fabre, le biochimiste Adolf Butenandt, le sexologue Alain Gaudey, le docteur Alain Héril, sexologue lui aussi, le psychiatre et psychanalyste Boris Cyrulnik (Boris, toi-même tu sais), Anouk Aimée et Jean-Louis Trintignant, Roland Barthes, le seul, l’unique, les chercheurs américains (sans distinction : merci les gars, vous êtes supers), Guillaume Gry pour son remake de L’important c’est d’aimer, sans oublier (ce serait ballot) le philosophe et écrivain Alain Badiou, l’auteure dramatique Sarah Kane et Pffff… j’en oublie sûrement…


Bref.

Encore merci et…

Vous êtes merveilleux !

Et vous, vous avez vraiment de très belles mains.

Merci…


Vidéo : o) Noir (10:00)


Maintenant, nous arrivons au moment que je redoutais. 

Cette expérience est arrivée à son terme et la soirée est finie. 

Vous allez reprendre votre vie et moi je vais reprendre la mienne comme si de rien n’était. Dans quelques minutes, nous ne serons plus que des étrangers l’un pour l’autre. 


Là vous vous dites que je ne suis qu’une sale peste irresponsable.

Je vous ai allumés toute la soirée et maintenant je m’en vais.

Je sais, c’est dur. 

Pour moi aussi.


Mais quand une rencontre amoureuse, du type « coup de foudre » comme dans notre cas, se solde par une rupture rapide, elle est moins douloureuse que dans d’autres relations. La passion a été fulgurante, elle n’a pas avancé dans la maturité de l’amour.

Le feu va s’éteindre aussi vite qu’il s’est allumé.

Je vous promets.

Dans quelques minutes, vous ne m’en voudrez plus.


Alors, je vais m’en aller. 


(Un temps).


Cela dit, je vais déposer un bottin téléphonique ici. 


(Elle pose en bord de scène un bottin).


Si vous voulez, vous pouvez stabiloter vos coordonnées et je comprendrai que vous voulez rester en contact…


Merci d’être venus.


Au revoir… 

Je m’en vais… 

Voilà, je suis partie…

(Elle s’approche de la coulisse et fait mine de sortir. Fausses sorties.)


Allez, allez-y. 

Non, vous d’abord. 

Bon d’accord, tous les deux ensemble.


(Elle fait mine de sortir). 


Ben, vous êtes pas parti ? 

Ensemble, à 3 ! 

Ok 

Un, deux et… 

Vous n’allez pas partir, je le sens. 

1, 2, 3. 

Voilà ! 

Vous êtes pas parti ! 

Bon, tant pis, j’y vais : 1, 2…


Noir.


Sur les applaudissements :

MUSIQUE : Love me do (2minutes 19)


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