Surexposée                  (texte)

- 1ère création  2013 -

- Reprise 2014 - 


Ecrit et mis en scène par Marguerite Topiol


Avec : Laurence Briand,  Hugo Messina et Marguerite Topiol


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SUREXPOSÉE

TEXTE DÉPOSÉ À LA SACD




Introduction.


Laurence, Hugo et Marguerite, simultanément mais sans être en chœur pour autant - Bonsoir.

Hugo – Merci d’être présents à cette rétrospective. (Amusé :) Pour ceux qui ne me connaîtraient pas

Laurence, Hugo et Marguerite - c’est moi, Marguerite Topiol. 

Laurence – C’est moi.

Marguerite - Si j’ai organisé cette rencontre avec vous, c’est parce que je vis une réelle difficulté à faire 

Laurence, Hugo et Marguerite - comprendre 

Marguerite - et par conséquent 

Laurence, Hugo et Marguerite - apprécier 

Marguerite - mes projets artistiques. 

Laurence - Du coup, j’ai pensé qu’à 30 ans (je viens de les avoir, il y a 15 jours), il était temps de faire : LE BILAN… avec vous ! 

Rassurez-vous, je ne vous demande pas de me psychanalyser ! 

Hugo - Enfin…

Marguerite, à Hugo - Bah non.

Je vais juste vous raconter le contexte et les retombées de certaines de mes créations. 

Parce que ce qui m’intéresse, c’est d’avoir le point de vue de monsieur et madame tout le monde. Donc vous ! 

Laurence - Parce que même si je sais que, en tant qu’artiste, j’œuvre pour l’humanité… que la création artistique, c’est très important pour l’épanouissement de la société, et tout ça… Je finis par me demander si mes créations artistiques, à moi, elles vous font du bien ? 

(Silence.)

Marguerite - Parce que pour le moment, j’ai plutôt l’impression du contraire. On dirait que, malgré toutes mes bonnes intentions, ça ne vous intéresse pas du tout. On dirait limite que je vous gêne. Que vous voulez m’enfoncer la tête dans la cuvette des toilettes pour me dire : « Mais tais-toi maintenant ! Ça suffit ! C’est nul ce que tu fais ! » 

Laurence - Enfin quand je dis « vous » 

Laurence, Hugo et Marguerite - je ne veux pas dire « vous ». 

Laurence - C’est justement parce que c’est pas vous et qu’on ne se connait pas, que ça m’intéresse de savoir si vous aussi, vous ne m’aimez pas. Si c’est d’un commun accord, quoi !

Hugo – Voilà.

J’espère qu’à la fin de mon exposé, vous serez en mesure de donner votre explication sur ce qui fait que ça ne fonctionne pas. 

Vous n’êtes pas les premiers à qui je demande. Par exemple, y’a pas longtemps… 

Laurence, non pas pour contredire mais pour expliquer au public - Enfin quand même, c’était il y a un peu plus de 2 mois maintenant. 

(Condescendants, Marguerite et Hugo regardent Laurence.)

Marguerite - Oui. Merci Marguerite. Je disais :

Hugo – Il n’y a pas longtemps, un homme dont j’étais très amoureuse, me traitait vraiment comme un chien alors que  je sais que c’est un mec adorable. Alors je lui ai demandé pourquoi avec moi il se comportait en vrai connard. Est-ce que c’est quelque chose que je dégage ? Un truc agaçant chez moi qui fait qu’on a envie d’être contre moi ? 

Laurence - Vous, vous sentez quelque chose, là, que je dégage, d’agaçant ? 

(Silence)

Marguerite – Il doit bien y avoir un truc parce que par exemple, je vous donne un autre exemple : Il y a 6 ans, le jour de mon anniversaire, personne ne me l’a souhaité alors que j’avais passé la semaine à le rappeler à l’INSAS. Finalement, je le fais remarquer à une fille de mon cours qui me fait : « Ah oui… J’avais oublié.» 

Et puis elle se tourne vers un groupe de nanas (toujours des filles de mon cours), et elle leur dit : « Hé, c’est l’anniversaire de Marguerite aujourd’hui ! » 

Et là, pas de réponse. Et je les vois qui tirent une tronche du style : « Ouais et alors ? Qu’est-ce qu’on en a à faire de son anniversaire ? » 

Franchement, qui est-ce qui réagit comme ça ? Personne ! Même à un parfait inconnu, on dit comme ça, par politesse : « Ah c’est ton anniversaire ? Et b’in joyeux anniversaire alors ! » Elles, non.

Hugo – Qu’est-ce que je leur avais fait à ces filles ?

Je dois dégager un truc de pas sympathique. 

Donc, je m’étudie, je m’analyse… Je vais voir des psys pour essayer de mieux me faire comprendre, mieux me faire accepter. Parce que c’est important. On vit avec les gens. 

Marguerite – Le truc c’est que, s’il n’y avait que peu de personnes qui montraient de l’animosité à mon égard, je ferai comme tout le monde, j’accepterais : 

Laurence - on peut pas plaire à tout le monde. 

Marguerite – Mais là, c’est beaucoup de personnes ! Et ça me complique vachement l’existence. Ça m’empêche de trouver du boulot par exemple. Ça m’empêche de faire partie d’un vrai groupe d’amis. Ça m’empêche d’avoir une relation de couple qui dure plus de 2 semaines. Ça me bouffe au quotidien ! 

Hugo - Evidemment, c’est pas les autres qui vont changer de comportement à mon égard juste parce que je leur demande. Donc c’est à moi de changer.

Laurence – Bon… Sur ce point-là, on n’est pas très d’accord avec ma psy.

Marguerite – D’ailleurs, je suis sûre que parmi vous, il y en a qui pensent comme elle et qui seraient prêts à me dire : « Mais non, faut pas essayer de te changer. Faut t’accepter, c’est tout. » 

Laurence - Allez, levez la main ceux qui pensent ça. 

Hugo – Je comprends pas votre raisonnement. Ce fatalisme là. C’est triste. Moi, je vais trouver ce qui cloche chez moi et je vais le changer, ok ? 

(D’allégresse, Hugo exécute quelques petits pas de danse sous les yeux étonnés de Laurence et Marguerite. Silence.)

Marguerite – Euh, je vais revenir à mes notes. 

(Tous les 3 se penchent sur la même feuille et lisent les notes en silence.)

Laurence - Oui, c’est ça. 

Marguerite et Hugo – Oui.

Laurence - Oui, mais j’aurais bien aimé vous parler d’abord du type de théâtre que j’essaye de faire : 

J’essaie de pousser jusqu’au boutisme 

Marguerite – Jusqu’au bout. 

Laurence, riant, confuse - Oui, pardon. Jusqu’au bout cette saleté d’expression « l’ici et maintenant ». 

Marguerite – Par exemple, là, je suis devant vous, à vous faire une conférence. Je ne joue pas autre chose. Je ne suis pas en train de vous faire croire qu’on est ailleurs, dans un intérieur bourgeois à la Feydeau ou sur une propriété terrienne à la Tchekhov.

Hugo – Mais on est d’accord que ce que je suis en train de vous dire, c’est un texte que j’ai écrit, appris par coeur, et répété. 

Laurence, Hugo et Marguerite - Je fais du théâtre.

Hugo – Sauf que, comme je viens de dénoncer le procédé, en disant : « Hé ! Soyez pas dupes, hein ! c’est pas de l’impro, y’a un texte. » et bien j’ai cassé la convention théâtrale, et nous sommes à nouveau dans « l’ici et maintenant » de moi qui vous parle pour de vrai. 

Suivez bien parce que ça va être comme ça tout du long…

Laurence - Deuxième point important : je demande à mes acteurs de ne pas jouer de personnage mais d’être eux-mêmes. 

C’est loin d’être révolutionnaire ! J’ai rien inventé ! 

Pourtant, y’a plein d’acteurs qui refusent sous-prétexte que, pour eux : « c’est pas du théâtre ». 

Leur définition du théâtre c’est : « jouer un personnage ».

Et s’ils doivent monter sur scène, sans être protégés par le masque du personnage, ils se sentent hyper en danger. 

Marguerite - C’est vrai que là, je me sens extrêmement en danger ! 

Ça m’rend dingue. Parce que souvent, c’est exactement ces mêmes comédiens qui me disent : « Attention hein ! Je ne voudrais pas devenir schizophrène en entrant trop dans la peau de mon personnage tout de même, hein… » 

Donc ?!… Ça devrait les rassurer ce que je leur propose ! Ils ne sont pas menacés de schizophrénie là, puisqu’ils doivent juste s’interpréter eux-mêmes !

Hugo – Là par exemple, quand je suis moi-même, comme maintenant, là, en tant que moi, Marguerite, je n’ai pas peur de rentrer chez moi, le soir, après une journée de répétition en me disant : « Oh non ! Je sens que je suis encore hantée par la personnalité de Marguerite Topiol ! Au secours ! À l’aide ! »

(Marguerite et Laurence rient de connivence avec Hugo.)

Marguerite – À moins que j’ai peur d’être schizophrène de moi-même bien sûr.

(Rires de connivence entre eux-trois.)

Marguerite – Bref, c’est ridicule comme débat. J’aime pas les acteurs, c’est dingue !

Hugo – Voilà. 

C’est ce que je voulais ajouter avant de commencer. 

Laurence - Donc. Je vais vous présenter quelques exemples d’échecs que j’ai connus dans mon travail et dans ma vie (car tout est lié, je vous expliquerai) et on va les analyser ensemble.

Hugo – Ah oui, ça me fait penser : On me dit tout le temps : « Non mais allez, dans le fond, tu le fais exprès de te saboter… » 

Laurence, Hugo et Marguerite (chacun innocemment, philosophe, haineuse) – Je le fais pas exprès !

Marguerite – Alors, s’il vous plaît, dans vos retours, que je n’entende personne dire ça !

Laurence, réfléchissant à haute voix – Je peux pas dire ça. 

Marguerite – Pourquoi je peux pas dire ça ? La preuve que si : je le dis !

Laurence, à Marguerite – Ah non, je ne peux pas solliciter l’aide du public mais refuser d’entrée de jeu une des réponses qu’il pourrait vouloir me donner. 

D’autant que c’est vrai, parfois je choisis pile la mauvaise direction.

Hugo, à Marguerite – Oui, là, je ne peux être que d’accord avec moi.

Marguerite – Bon… d’accord… Autant pour moi... 

Hugo - Donc, je vous raconte les anecdotes liées à mes projets ratés.

Laurence - Ah ! Mais avant, je dois encore vous expliquer que vous serez invités, après mon exposé, à monter sur le plateau. Parce qu’il y a des choses à écouter, à feuilleter, des petits films à regarder, des pochettes à fouiller, etc…

Marguerite - Du coup, si par moment vous estimez que je fais preuve d’un peu de mauvaise foi dans mes exemples, ou que je dois exagérer, vous aurez le temps après, preuves à l’appui, de vérifier par vous-mêmes.1. Echec n° - 18 ans - les graph’


Hugo – Ok ? Je peux y aller ? Bon.

Mon premier exemple c’est un projet que j’ai voulu faire quand j’avais 18 ans. 

Laurence - A ce moment-là, j’étais dans ma période théâtre invisible. 

Hugo – Oui.

(Silence. Laurence et Marguerite regardent Hugo, pensant qu’il va enchaîner).

Hugo – Hum… Ce que j’appelle le théâtre invisible… C’est… (d’une traite) quand je fais du théâtre mais que personne sait que c’est du théâtre. 

C’est… 

Ouais, bon…

Laurence - J’avais imaginé un mec et une nana (Polo et Sole’, comme Soledad) qui s’écriraient des messages d’amour, en cachette l’un de l’autre, en les taguant sur les affiches des quais de métro à Paris.

Marguerite – Attention ! Ce n’était pas que une œuvre plastique, c’était vraiment du théâtre. J’insiste parce qu’on me dit tout le temps que ce que je fais, c’est pas du théâtre. 

Hugo - Ça devenait théâtral parce que je voulais qu’au bout de 6 mois, dans un tag, ils se donnent rendez-vous à une station de métro à une heure précise. Est-ce qu’il y aurait des fidèles lecteurs qui se présenteraient eux aussi au rendez-vous, histoire de voir à quoi ressemblent le mec et la nana des graffitis ? 

Laurence - Ça aurait été le moment de constater si les passagers avaient vraiment cru à l’existence de Polo et Soledad : Donc voir si le théâtre invisible avait marché !

Bon, voilà j’avais 18 ans. J’étais convaincue que Le Tout Paris allait s’enflammer pour cette amourette taguée et que, le bouche à bouche aller faire… 

Hugo - on dit le bouche à oreille

(Hugo manipule les cahiers de brouillon qui ont servi au canevas).

Laurence, gênée - Oui, pardon : Que le bouche à oreille allait faire qu’on allait en parler dans toute la capitale. J’étais jeune, j’étais con, je pensais que mes idées allaient révolutionner le théâtre…

Sinon, plus sobre, j’imaginais aussi que par exemple, pendant  une dispute du couple, le personnage de Polo aurait pu demander aux « voyageurs-lecteurs » de marquer eux aussi un petit mot sur les affiches du métro pour supplier sa Soledad de lui pardonner. Style, il aurait graphé : « Aidez-moi à la convaincre ! S’il vous plaît ! »

Et du coup, je voyais déjà des parisiens anonymes qui deviendraient eux-aussi des tagueurs d’affiches, pour l’occasion. Je trouvais ça beau.

Marguerite - J’avais demandé à Paul… l’ex de ma meilleure amie (enfin ex meilleure amie, on s’est disputé entre temps), donc Paul, un grapheur, d’écrire le projet avec moi. Sauf que Paul se sentait pas du tout l’âme d’un auteur dramatique, il disait qu’il n’avait pas d’idées. Alors, finalement, j’ai tout écrit toute seule. 

Au début, il m’écoutait partir dans mon délire. Il me regardait l’air de dire : « Ouais… y’a de l’idée… C’est pas mal.» 

Laurence - Il me donnait même des conseils : C’est lui qui m’a renseigné sur les jours et la fréquence des changements d’affiches sur les quais. 

Marguerite - c’est pour ça que, j’ai pas capté tout de suite qu’il avait pas du tout l’intention de participer à mon projet. C’est au bout de super longtemps qu’il m’a dit : « Nan, mais en fait euh… Marguerite euh…, ton projet hum… j’t’avoue Pffff… j’suis pas trop motivé. En plus euh… J’ai lu tes textes… et euh… bah… j’trouve que… tes tags … ils sont un peu mièvres. »

Hugo - Et là j’étais juste… dégoûtée.

J’lui avais demandé d’écrire avec moi justement pour qu’il y ait une touche masculine. J’avais 18 ans : À cet âge-là, je regardais encore Dawson à la télé ! Alors oui, bien sûr, c’était mièvre. J’avais besoin de son aide. 

Marguerite – Il a tué dans l’œuf un projet qui aurait pu cartonner ! C’est de sa faute si ça s’est pas fait ! Je voulais juste qu’on échange nos idées, c’était trop demander ?! 

(Silence.)

Hugo – Allez Marguerite… Pour de vrai, j’aurais pu faire le projet avec quelqu’un d’autre. 

Laurence - Oui mais bon, voilà, si je voulais faire ce projet uniquement avec Paul c’est parce que… Bon voilà, j’étais amoureuse de lui. Du coup, ce qu’il pouvait penser de mon travail, c’était très important. 

Hugo – Ah… Le regard de l’autre ! 

Marguerite - Bah oui, évidemment, moi c’est pour l’autre, c’est pour Paul, c‘est pour vous, ou pour vous, que je crée. C’est pas pour moi toute seule dans mon coin !

(Hugo sort son enregistreur de sa poche).

Hugo, à Marguerite - Tu peux redire ça ?

Marguerite, dans l’enregistreur - Bah oui, évidemment, moi c’est pour l’autre, c’est pour Paul, c‘est pour vous, ou pour vous, que je crée. C’est pas pour moi toute seule dans mon coin ! 

Hugo - Merci.

(Hugo range son enregistreur).

Marguerite - C’est pour quoi faire ?

Hugo - Pour notre prochaine séance chez le docteur Gozlan.

Marguerite - Ah super.

2. Echec n° - 21 ans - les ex


Laurence - J’enchaîne : Un autre exemple de création bizarre et incomprise qui m’est venue quand j’avais 21 ans. En fait, je ne l’ai pas abandonnée, je continue à y travailler.

Marguerite – À une expo y’a 5-6 ans, j’ai vu que Sophie Calle avait eu un peu la même idée que moi et qu’il y avait plein de gens que ça intéressait. 

Alors, est-ce que c’est parce que c’est Sophie Calle ? Je sais pas. En tout cas, quand c’est moi, j’ai droit à : « C’est de la merde ! Tu crois que ça va intéresser qui ? »

Hugo – Oui et bien j’en profite pour glisser une citation qui me tient à cœur. C’est : « Il n’existe pas de sujet peu intéressant. Il n’y a que des personnes peu intéressées. » C’est de Gilbert-Keith Chesterton. 

Hugo, Laurence, et Marguerite - Prout ?

Laurence - Je ne sais absolument pas qui est ce monsieur mais je le remercie d’avoir fait cette remarque très pertinente.

Bon. 

Donc. 

À cette époque je m’étais lancée dans mon trip « théâtre intime ».

(Laurence et Marguerite se tournent vers Hugo). 

Hugo - Et je vais vous expliquer avec plaisir ce qu’est selon moi le théâtre intime ! 

Je suis convaincue qu’on n’a pas besoin d’être Phèdre ou euh… comment elle s’appelle… Euh… Médée ! Voilà ! On n’a pas besoin d’être Médée pour que notre vie mérite d’être racontée. J’suis Marguerite Topiol et mes interrogations existentielles sont pas moins intéressantes que celles d’Hamlet. 

Marguerite, dubitative - Hum…

Hugo - Si si.

Laurence - Donc, j’ai cherché quelque chose d’intime à raconter et qui pourrait être en même temps drôle, touchant, et qui ferait que plein de monde se reconnaîtrait. C’est comme ça que j’ai choisi de créer une installation à partir de tous les derniers sms de mes ex.   

Marguerite – Ok, alors là, je suis sûre qu’il y’en a parmi vous qui se disent : « Et c’est reparti pour des histoires d’amour de nana… franchement, qu’est-ce qu’on en a à faire ? » 

UN – Je suis peut-être la nouvelle Sophie Calle et ce serait con que vous passiez à côté. 

DEUX - Et b’in… Je fais avec ce que j’ai… Et côté aventures sentimentales, j’ai pas mal de matière.

Laurence - Comme beaucoup de nanas de ma génération… 

Hugo - Oui, de ma « génération » ! C’est bien de ça que parle ce projet. Pas juste de ma petite personne mais de ma « génération ». 

Laurence - Donc, comme beaucoup de nanas de ma génération, j’enchaîne les échecs amoureux.

Marguerite, en se tapant la tête sur la table - Et c’est reparti pour les échecs !

Hugo – Et oui ! Tout est lié mesdames et messieurs : ces échecs amoureux sont liés à mes échecs en tant qu’artiste.

Parce que vous voyez, par exemple moi, j’ai jamais eu d’orgasme. 

(Laurence et Marguerite sursautent et font les gros yeux à Hugo).

Hugo, sans remarquer leur regard réprobateur Et je me souviens qu’un ex (un comédien qui était en cours au conservatoire avec moi, à Paris), m’a dit un jour que tant que je n’arriverai pas à avoir un orgasme, je n’arriverai pas non-plus à lâcher-prise sur scène. 

Et c’est vrai ! A l’époque, au conservatoire, on me reprochait tout le temps d’être trop cérébrale et pas assez à l’écoute de mes émotions… 

Marguerite - J’en reviens à mes échecs amoureux ! 

Mes relations de couple ne dépassent jamais 2 mois.

Laurence – Allez… j’ai une petite tendance à l’exagération. Parfois, ça dure un peu plus.

Hugo – Mais franchement pas beaucoup plus…

Marguerite – Et j’ai des amies (enfin des ex amies, on s’est disputé) qui trouvent anormale ma façon d’enchaîner les aventures sentimentales. Et j’insiste sur le sentimental ! Je suis loin d’être nymphomane ! Olala, loin loin loin ! 

Pourtant, elles ont réussi à me faire douter. Alors, j’en ai parlé à ma psy, et elle m’a dit : « Mais je sais pas, moi, si vous êtes nymphomane. Vous avez eu combien d’amants ? »

Laurence - Et là, j’ai trouvé ça génial. C’est vrai ça. J’y avais jamais pensé. Compter mes amants !

C’est à partir de ce jour-là que j’ai commencé à les ranger dans un tableur Excel avec trois colonnes. 

Alors, j’ai fait :

Une colonne « drague » pour les hommes avec qui malheureusement c’est pas allé plus loin ; et ceux que j’ai dragués, mais je me suis pris un râteau. 

Une deuxième colonne « baisers voir plus… »

Attention, quand je dis « baisers », j’veux dire embrasser, pas « niquer ». J’parle pas comme ça quand même ! 

La troisième c’est simplement « sexe ». Comme ça, je peux y mettre le nom des hommes avec qui j’ai eu une relation stable, de 1 à 2 semaines, comme ceux qui m’ont larguée après une nuit. 

Marguerite - Sales bâtards. Moi, jamais je pourrais faire ça : coucher avec un mec juste pour le sport. Quand je couche avec un homme… même si c’est souvent dès le premier soir… y’a toujours cette part de romantisme à la con qui me convainc que, cette fois, je vais vivre une grande et belle histoire d’amour. 

Laurence - J’en parlais y’a pas longtemps à une amie. 


Marguerite - Une ex amie, on s’est disputée.


Laurence - Je lui disais : « C’est dingue le nombre de mecs qui veulent seulement coucher avec moi.  Ça leur traverserait pas l’esprit que je pourrais être une super petite amie ? Je comprends pas pourquoi. » 


Marguerite - Et là, elle me dit : « Ouais c’est bizarre parce que pourtant, quand on te regarde comme ça, franchement t’appelles pas le sexe. » 

Je savais pas si je devais lui répondre : « Merci ou… je t’emmerde ! »

Hugo, prenant une feuille - Aujourd’hui, j’en suis à : 

Drague : 13 (essentiellement des râteaux que j’me suis pris)

Baisers voir plus… : 18

Sexe : 47. 

(Silence.)

47. 

(Silence.)

Marguerite - Je connais des tas de gens que ça fait doucement rigoler… « Pouah ! 47 ! C’est rien ! Moi, après le centième, j’ai arrêté de compter ! » 

Oui, bah, c’est ça la différence. Moi, j’arrêterai jamais de compter. Tous ces noms comptent pour moi. À chaque fois, j’y ai vraiment cru. 

Donc, 47 relations intimes + 18 tentatives de relation + 13 plans drague, ça fait un total de…

Hugo – 78. 

Laurence -  78 hommes. 

78 fois où je me suis dit : « Ça y’est ! J’ai rencontré l’homme de ma vie ! »

Marguerite - 78 fois où c’était pas lui. 

78 claques dans ma gueule.  

78 échecs sentimentaux. 

78 déceptions, désillusions, fins d’histoires d’amour précédant le : « À nouveau seule ».

Ce projet, je l’ai appelé (d’une traite:) « SMS de mes amants annonçant la fin de mes amours. »

(Silence.)

Laurence - Euh… pardon mais… Ce n’est pas anodin si j’ai choisi de vous exposer ces 2 exemples-là. Ma question est la suivante : 

Comment régler d’une paire de coup mes deux problèmes :


Hugo et Marguerite - d’une PIERRE deux coups !


Laurence - le fait de ne pas être appréciée comme artiste et le fait de ne pas être appréciée comme petite amie ? 

Voilà, réfléchissez-y.



3. Echec n° - 24 ans - journal intime (anonyme) d’une jeune femme dépressive


Hugo – Pour ma troisième création je fais un saut dans le temps : on arrive à mes 24 ans. 

J’étais dépressive : Pour la première fois de ma vie, j’avais redoublé. 

Marguerite - J’avais passé tous les concours de France et d’Navarre pour entrer dans une école nationale d’art dramatique. En tout, j’ai passé 11 concours de grandes écoles. Dit comme ça, ça fait pas beaucoup. Mais en fait, je vous jure que c’est énorme. 

Laurence - Du coup, quand j’ai été reçue à l’INSAS, l’école Nationale de Bruxelles, vous pouvez pas imaginer le soulagement que j’ai ressenti. Il existait un endroit où on m’accueillait en tant qu’artiste. 

Marguerite - Que dalle !… 

Une année scolaire plus tard, les profs m’ont annoncé qu’ils s’étaient trompés, et que j’étais une erreur de casting.  

Silence. Hugo et Marguerite regardent Laurence qui se tait délibérément.

Hugo et Marguerite - Bah vas-y. On a dit que c’était à toi. On s’était mise d’accord.

Laurence - Non, ne comptez pas sur moi.

Silence.

Marguerite - Alors là, normalement on arrive à un passage du texte où, l’an dernier, quand j’ai écrit cette pièce, j’avais trouvé judicieux de révéler les retours de mes professeurs au moment de mon redoublement. 

Or, je citais leur nom. Leur vrai nom. 

Et parmi les spectateurs, l’effet général (qu’ils connaissent ou non ces personnes), globalement tout le monde se disait : « Olala, ils lui ont dit ça ? Ils sont vraiment dégueulasses ! »

Moi j’dis ça…

Bon.

En tout cas, je ne pensais pas que ça leur reviendrait aux oreilles. 

Laurence, Hugo et Marguerite - Mais si ! 

Marguerite - Dans le public, quelqu’un a trouvé malin d’aller tout répéter aux professeurs concernés. 

Ce qui fait qu’aujourd’hui, quand ils me croisent, ils me fusillent du regard, et ils font très attention à ne surtout pas me dire bonjour. 

Et c’est embêtant. Parce qu’ils ne sont pas seulement des professeurs d’une école, ce sont aussi des metteurs en scène, des directeurs de théâtre, des comédiens… Et dans ce tout petit milieu finalement, il vaut mieux ne pas se fâcher avec ses collègues, en fait…

Alors, aujourd’hui, je ne vais pas vous jouer ce passage et je vais directement passer au paragraphe suivant.

Silence. Hugo et Marguerite regardent Laurence qui se tait délibérément.

Marguerite - Et bien non, car dans le paragraphe suivant, j’enchaînais en révélant qui étaient les filles qui ne m’ont pas souhaité mon anniversaire il y a 6 ans. Vous vous souvenez ? Je vous en ai parlé tout à l’heure.

Hugo – Ah oui ! Moi, je suis comme ça, je balance les noms.

Marguerite - Et là, idem, un spectateur s’est dit que ça serait super sympa d’aller répéter à ces filles que je les citais (en mal) dans mon spectacle. 

Laurence - Du coup, depuis, on n’arrête pas de dire derrière mon dos que je suis vraiment qu’une pauv’fille…

Marguerite - Mais ce qu’on semble ne pas comprendre, ou ne pas vouloir comprendre, c’est que merde ! Ils ont vraiment fait et dit ce que je raconte. Alors qu’ils assument ! Et surtout, on m’a reproché que : « Le théâtre n’est pas un endroit où l’on règle ses comptes. »

Qui a décrété ça ? Qui a érigé cette loi universelle du théâtre ?

Et si moi, je décidais que mon théâtre, c’était un théâtre de la réalité dans lequel je parle des vrais gens et de leurs vraies mesquineries… 

qui peut m’en empêcher ? 

Moi, j’explose les conventions du théâtre et je vous emmerde !

(Silence).

Laurence - Bref, déjà à cette époque, j’étais dans une phase : « Le tram arrive, je me jette ou pas ? »… Bref.

Hugo – Bref, à cette époque, un de mes jobs d’étudiante, c’était modèle vivant aux Beaux-Arts. Pour être claire, je restais 3 heures à poil sans bouger devant un parterre de vieux. Ils sortaient même pas leurs pinceaux, ils se contentaient de me regarder nue comme un vers. 

Sauf John. Un gros monsieur irlandais qui bossait à la commission européenne. 

Laurence - Je suis pas terrible en anglais mais pendant que je pausais, je lui confiais plein de trucs parce qu’autour de nous, les petits vieux ne nous comprenaient pas. Alors j’avais l’impression qu’on se racontait des secrets. 

Hugo – John s’inquiétait pour moi parce que je lui disais que je me sentais vide et que j’arrivais plus à créer. « I feel like I’m totally empty, John. I don’t manage to create anymore. » Or, à l’école justement, on me demandait d’être créative. 

Du coup, John m’a recommandé d’écrire chaque jour un truc qui me passait par la tête. 

Je pouvais m’enregistrer sur un dictaphone si je préférais. 

Laurence, Hugo et Marguerite - Je préférais.

Marguerite - Mais je l’ai pas fait. 

Laurence - Si, allez, peut-être 5 ou 6 fois en 3 semaines… 

Et quelques mois plus tard, je suis retombée dessus. Tout ce que j’avais enregistré était hyper glauque. Je racontais des trucs que j’avais vus dans la rue ou entendus à la radio, et quelle que soit l’anecdote, ma conclusion était invariablement morbide. 

Avec le recul, ça m’a fait rire ! Et je me suis dit : « si ça me fait rire moi, ça peut en faire rire d’autres. » 

Hugo – C’est comme ça que j’ai fait la création sonore « Journal intime (anonyme) d’une jeune femme dépressive ».

(Silence.) 

Hugo – Et puis rien. Qui a envie d’écouter un an d’enregistrements larmoyants ? 

Personne. 

Laurence - Quand, soudain ! TA TADA ! 

5 ans plus tard, la Cie la Clinic Orgasm Society fait passer une audition autour du thème du suicide (Mais en mode provoc’, second degré). 

Bah voilà ! 

Il y avait des gens (un peu timbrés certes, mais sympas) qui pouvaient potentiellement trouver de l’intérêt à mon travail. Et c’était nickel : Mon dernier enregistrement, c’était mon suicide. 

Marguerite - Et là… C’est le drame : Ma candidature est retenue ; mais en recevant les consignes de l’audition, j’apprends que ça ne doit pas dépasser 5 minutes. 

Du coup, j’ai tenté de faire un montage pendant des jours, sans y arriver, pour finalement tout couper et ne garder que le dernier morceau où je me suicide.

Or, ce qui me fout vraiment les boules, c’est qu’au final, le jour de l’audition, j’ai pu constater (mais  j’avais la haine sérieux !) que tous les autres candidats se sont gentiment étalés sur 20 minutes, si ce n’est plus… Franchement, je déteste ce milieu d’artistes, là ! 

Est-ce que je suis la seule à respecter les consignes comme une andouille pour rien ?! 

Laurence - Oui ?

Hugo - Oui.


4. Echec n° 17301 - 26 ans - les exaltés

Laurence - Bon, au suivant ! Echec n°17301… 

Ah oui.

Pfffiou ! 

C’est dur ce spectacle, hein ! Passer d’échecs en échecs, c’est… 

Bon. 

ici, je vais vous parler de mon spectacle « Les Exaltés », que j’ai  créé à 26 ans. Et qui a été violemment rejeté par le public, les professionnels, les comédiens avec qui je bossais, les techniciens avec qui je bossais, et même les membres de ma famille. 

Marguerite – Pour vous dire à quel point ça a été rejeté : J’avais demandé de l’aide à 2 filles qui voulaient devenir auteur dramatique. Et b’in le jour où je leur ai dit que dans le programme, j’allais mettre leur nom, elles se sont empressées de me dire : « Non non non non, c’est pas la peine. » 

C’est énorme, non ? 

Les filles, elles avaient honte de participer au spectacle !

Hugo – Alors. 

Pourquoi est-ce que ça a déplu à ce point ? Et b’in… 

Franchement je sais pas. 

Analysons ensemble : 

L’idée était de prendre au pied de la lettre l’expression « art vivant ». J’étais partie du présupposé que « l’art vivant » pouvait signifier « l’art de se mettre en vie ». Or, lorsqu’on s’exalte pour quelque chose, ou pour quelqu’un, là on se sent vraiment vivant. D’où mon thème sur l’exaltation.

Quand j’ai expliqué le projet aux acteurs, ils étaient hyper motivés. 

Mais dès qu’on a commencé les répétitions, direct, ils ont pris peur. 

Marguerite - Je sais pas ce qui s’est passé. 

Hugo - Mais si, je sais ce qui s’est passé. Ce qui les a fait flipper c’est que je leur ai pas donné de texte. 

Laurence - Le pitch c’était : « Vous êtes comédiens, vous vous retrouvez dans une salle face à des spectateurs qui vous regardent… Exprimez l’exaltation que cette situation vous procure. »

(Silence).

Laurence – Nan ! J’déconne ! Je leur donnais quand même un peu de matière, hein ! Pas si vache ! 

Je leur avais donné une phrase à méditer : « Nous sommes tous en train de mourir. Et chaque minute qui passe nous rapproche un peu plus de la mort »… 

Ça les a pas du tout aidés, 

Marguerite – j’comprends pas. 

Hugo – Ils sont partis dans un trip super dark, tout le monde pleurait. C’était pas du tout ce que je voulais, j’étais super emmerdée. 

Alors je suis partie sur cette autre phrase de Brecht : « Vous êtes venus faire du théâtre mais, maintenant une question : Pour quoi faire ? » 

Un truc concret, quoi !

Pareil la catastrophe, ils se sont tous mis dans des états proches de l’Ohio. Ils venaient de se rendre compte qu’ils ne savaient absolument pas pourquoi ils faisaient du théâtre… La révélation qui allait leur foutre la loose jusqu’à la fin de leurs jours… 

Marguerite - J’aimerais dire que j’étais désolée pour eux… 

Mais j’suis désolée… mais non ! 

Pour la plupart des comédiens de l’équipe, ça faisait presque 10 ans qu’ils pratiquaient le théâtre. Et c’est seulement à ce moment-là qu’ils se sont rendu compte qu’ils ne savaient pas pourquoi ? 

Mais on est où là ?!

Je ne leur demandais même pas d’avoir quelque chose d’universellement hyper intéressant à venir défendre. 

Est-ce que c’est universellement intéressant ce que je suis en train de vous dire ? 

Non. 

Mais c’est vraiment important pour moi. 

C’est comme les comédiens qui te disent : « Mais Marguerite, ça va, hein, c’est que du théâtre, c’est pas la peine de se mettre dans des états pareils. »

Ah. C’est que du théâtre ? C’est pas la peine ?

Et b’in si pour toi c’est pas la peine, mais casse-toi et laisse-moi ta place. 

Manifestement on met pas le même enjeu. 

Manifestement pour toi c’est pas important alors que pour moi ça l’est terriblement, au point de me mettre dans des états pareils. 

Alors fous-moi le camp, et laisse-moi ta place. 

Laisse-moi réussir les auditions que tu réussis à ma place. 

Laisse-moi monter sur les planches à ta place plutôt que de te voir, toi, sur les scènes nationales, en train de t’amuser parce que : « faire du théâtre ça doit rester un plaisir ». 

Ces comédiens-là, ils m’énervent. Tous ceux qui me disent que : « quand ils jouent, s’ils ne sont plus dans le plaisir, alors ils préfèrent quitter le projet. »

Hey ! Le théâtre, la création artistique, c’est du travail, c’est pas toujours agréable, c’est dur. 

Bande de gamins à qui il faut expliquer ça ! 

(Silence).

Hugo - Hum…

Là, je suis sensée être très énervée contre vous, contre la terre entière mais… 

Hugo et Laurence - Je ne sais pas. 

Hugo - Est-ce que c’est parce que j’ai plus de recul, que je ne suis plus en plein dans cette situation horrible où les acteurs quittaient tous mon projet les uns après les autres ? Je ne sais pas, en tout cas, je n’arrive pas à retrouver l’état de colère dans lequel j’étais à l’époque. 

Laurence - Oui, non, vraiment, non, ouais, désolée…

Marguerite - Aujourd’hui, je me demande plutôt : « Qui est-ce qui m’a fourré dans la tête cette idée (à laquelle je crois dur comme fer) qu’il faut souffrir pour mériter le droit de faire du théâtre ? »

Laurence - Mon éducation Judée ou chrétienne peut-être ?

Hugo - Si vous avez une réponse, ça m’intéresse. Pensez à la noter sur le calepin tout à l’heure.

(Silence).

Marguerite, à Laurence - On dit judéo-chrétienne, pas judée ou chrétienne.

Laurence - C’est ce que j’ai dit.

Hugo et Marguerite - Non.5. Echec n° - 28 ans - Melville Sikowski

Hugo – Ok, mon cinquième exemple il y a 2 ans. 

Voilà le contexte : Je m’étais inscrite au workshop du metteur en scène René Georges. Il nous a envoyé les consignes d’un exercice à préparer : On devait s’inventer une épreuve personnelle à surmonter. Alors, dans le groupe, les autres comédiens ont plutôt choisi des épreuves physiques. Genre : je vais courir le plus longtemps possible, ou je vais me bander les yeux et faire toutes mes tâches quotidiennes à l’aveugle… Des trucs comme ça. 

Moi, c’est plutôt les épreuves morales qui constituent vraiment des challenges : Est-ce que je serais capable de me faire endurer encore plus de souffrances morales que ce que j’endure déjà ?

Laurence - « … que ce que j’endure déjà ! » Oui, ok, comparée à bien des gens, ma petite souffrance morale, c’est de la gnognotte… 

Marguerite – Cela dit, j’ai une amie psychologue qui m’a fait remarquer qu’on ne pouvait pas comparer une souffrance à une autre en disant : « Lui, il souffre plus que lui parce que ce qu’il a vécu c’est pire ». 

Ça m’a fait du bien d’entendre ça. Ras le bol de culpabiliser sous prétexte que : « Y’a pire franchement ! » 

Bah ouais, y’a pire, mais… voilà, quoi !

Hugo – Bref. 

Comme épreuve pour le workshop, j’avais choisi de taper là où ça me fait bien mal : le fait que je ne suis pas très entourée.

Laurence – J’ai inventé un mec que j’ai appelé Melville Sikowski. Je lui ai créé une adresse mail. Et, depuis cette adresse, j’ai envoyé un message à tous mes contacts (donc comme si c’était lui qui écrivait, quoi). Et je leur demandais d’envoyer un petit quelque chose par mail au sujet de Marguerite Topiol. 

Hugo – J’étais convaincue que personne ne prendrait le temps de répondre. 

Et c’était ça mon épreuve. 

Avaler et encaisser le fait que tout le monde s’en foutrait. J’suis tellement parano que j’avais créé Melville Sikowski parce que je m’imaginais que si je l’avais envoyé en mon nom les gens auraient fait exprès de ne pas répondre à mon mail, rien que pour ne pas me rendre service. 

Laurence – Alors que j’me disais qu’ils seraient plus partants si c’était pas à moi qu’ils rendaient service, mais à un artiste à l’air un peu hype, un peu cool.

Marguerite - On pouvait même juste envoyer un mot, genre : « fleur », « Reine Margot »…


Hugo - « vache »…


Marguerite - un truc en lien avec mon prénom Marguerite quoi ! 

Eh bah sur 780 envois je n’ai reçu que 21 réponses ; dont celle de ma mère, donc ça compte pas vraiment. Et 6 qui commencent par : « Désolé, je ne connais pas cette personne ». 

Donc, j’ai pleinement réussi mon épreuve : Je me suis fait bien souffrir pendant les 2 semaines où j’ai été regarder, chaque jour, sur cette saleté de boîte mail factice, si j’avais enfin un message. 

Hugo – C’est drôle, ceux qui ont répondu sont pas les personnes avec lesquelles j’ai des relations étroites. Ni ma famille, ni mes meilleurs potes n’ont répondu.

Laurence – Nan, ce qui est vraiment drôle, ou plutôt, vraiment significatif (ça aussi, c’est une piste pour vous, pour me donner votre avis après), c’est que, de mon point de vue, 21 réponses, c’est pareil que si j’avais reçu aucune réponse. Alors que du point de vue de mon amie Meli, 

Marguerite - Ex amie, on s’est disputées.

Laurence - Oui pardon, du point de vue de mon ex-amie Meli, 21 réponses, c’est énorme ! Elle a halluciné quand je lui ai raconté cette histoire.

Marguerite - Oui, elle pratique la pensée positive…

Hugo – Et en fait, elle a pas tort. Parce qu’il y’a quelques réponses qui sont magnifiques, vraiment touchantes, de la part de gens que pourtant je pensais pas avoir particulièrement marqués. 6. Echec n° - 15 ans et plus - les auditions

Laurence - Dites, 

J’aimerais vous parler d’un autre exemple d’échecs, mais il sort de la chronologie. 

(Hugo et Marguerite sursautent et se tournent vers Laurence avec étonnement).

Laurence - J’aimerais vous parler de toutes ces auditions que je passe et que je rate toujours.

Hugo, prenant un air faussement amusé - N’importe quoi, j’ai pas du tout envie de vous parler de ça. 

Euh… Pfff ! Non. 

J’m’en fous parce que de toute façon, maintenant, c’est clair dans ma tête, j’veux plus être comédienne, j’veux être metteur en scène. 

Laurence - N’importe quoi ! J’ai laissé tomber l’idée d’être metteur en scène. (Montrant à Hugo une feuille sortie d’un gros classeur :) C’était l’échec n°17302. 

C’est l’échec 17302 qui m’a fait comprendre que je n’avais aucun talent pour ça. 

La preuve, regardez, j’ai voulu vous faire un spectacle, là, et on comprend rien : Est-ce que ça en est un ou pas ? On sait pas… 

Hugo et Marguerite - Bon c’est compliqué.

Laurence - En revanche, il y’a plein de gens qui me disent qu’en tant que comédienne, je suis plutôt bonne. 

Et ouais !

Marguerite, à Laurence - Alors pourquoi je rate toutes les auditions que je passe ? 

(Au public) Mais vraiment toutes. 

Et puis pas qu’un peu, hein ! 

Hugo - Et pourtant, ce qui m’ennuie, c’est que souvent (bon, pas à chaque fois, faut pas exagérer, mais souvent), moi je trouve qu’en audition… je donne quoi ! Et je suis très dure envers moi-même. Je ne suis pas du tout du genre à m’envoyer des fleurs facilement, donc si je dis que je suis bien, c’est que c’est vrai.

Laurence - Mais pourtant, les metteurs en scène ne me choisissent jamais. 

Alors je me dis encore que ça doit venir d’un truc que je dégage et dont je n’ai pas conscience. Un truc qui, quand les metteurs en scène me voient, ils se disent : « Hou ! Nan ! Pas elle ! » 

Mais je sais pas ce que c’est. 

Vous voyez, vous ?

(Silence.)

Laurence - Tenez, par exemple, la dernière fois…

Oh, allez, je peux bien vous dire le nom.

Mais s’il vous plaît, pas la peine d’aller répéter, hein !

La dernière fois c’était à l’audition du metteur en scène David Strosberg ! 

Bon. Il fallait faire une improvisation muette de 2 minutes et terminer en disant : « Je suis folle ».

Alors je suis venue avec un grand vase transparent. Et puis j’ai baissé ma culotte, je me suis assise sur le vase et j’ai attendu.

Hugo - Et bon, vous l’aurez deviné, j’essayais de faire pipi. 

Le truc, c’est que c’est pas du tout mon genre de faire ça en public. Je n’arrive même pas à faire pipi quand ce ne sont pas mes toilettes, alors !

Marguerite - Mais le matin de l’audition, je m’étais levée à 6h et j’avais bu, sincèrement, au moins 4L d’eau.

Hugo - Donc quand ça a été mon tour de passer j’avais la vessie qui allait exploser.

Marguerite - Et pourtant, impossible de faire pipi avec tous ces yeux qui me regardaient. 

Laurence - Ah oui, parce que c’était une audition où tous les candidats se regardaient les uns les autres… (Sincère :) C’est vachement sympa.

Marguerite - Et alors j’étais là, les fesses à l’air sur mon vase, rouge écarlate, en train de me liquéfier sur place. Et avec une telle envie de faire pipi que j’avais l’impression que j’allais m’évanouir de douleur. Je tremblais, je transpirais, j’arrivais plus à réfléchir tellement j’avais mal.

Mais impossible de faire pipi.

Laurence - Dans ces cas-là, quand je n’arrive pas à faire pipi, moi je me chante une petite chanson, toujours la même. C’est :

Laurence, Hugo et Marguerite - « Bateau, sur l’eau

      La rivière, la rivière

      Bateau, sur l’eau

      La rivière au bord de l’eau »

Laurence - Et en général ça marche.

Alors dans ma tête j’ai commencé à chanter. Et miracle ! J’ai réussi.

Et b’in sincèrement, c’est un peu prétentieux ce que je vais dire mais je le dis quand même : Moi j’estime que, ce que j’ai fait, c’était pas mal du tout et vachement généreux. Et que je méritais au moins d’aller au second tour. 

C’est vrai quoi !

J’avais fait tout bien ce que les metteurs en scène recherchent chez un comédien généralement : Je m’étais mise à nue. J’avais montré ma sensibilité. J’avais laissé voir mes émotions me traverser à fleur de peau. Mes vraies émotions, pas un truc fabriqué.

Vous, vous m’auriez recalé dès le premier tour aussi ?

(Silence).

Hugo - Oui, en même temps, vous pouvez pas savoir, vous y étiez pas.

Et b’in je vais vous le refaire ! 

Comme ça vous pourrez vraiment analyser.

Marguerite, chuchotant - Connasse.

(Hugo apporte le vase et le pose devant Marguerite. Après un court désarroi, Marguerite accepte le défi et essaie de faire pipi dans le vase. Elle n’y arrive pas).

Hugo - Maintenant que je me vois faire, je crois que je viens de comprendre quelque chose.  

Laurence et Marguerite - Ah !

Hugo - En fait, j’essaie de faire une performance qui pourrait artistiquement être formidable. Mais je n’y arrive pas. Alors j’insiste. Et c’est le fait d’insister qui fait chier tout le monde. 

Laurence et Marguerite - Ah.

Hugo - Mais la vraie question est « Pourquoi j’insiste ? »

Laurence - Pourquoi ?

(Silence. Marguerite remet sa culotte et revient s’asseoir. Gros soupir).7. Echec n° - 30 ans - les actes poétiques

Hugo – Enfin, mon dernier exemple, c’est « mes actes poétiques ». C’est des saynètes jouées dans la rue, dans les lieux publics, là où on s’y attend pas… Et, j’essaye que ça soit reçu comme des cadeaux, bienveillants. 

Ça doit rester discret comme du théâtre invisible. Vous savez ? Quand vous assistez par hasard à un événement, mais tellement inhabituel que vous avez du mal à le croire… et puis vous apprenez après que c’était une performance artistique. 

Laurence - Moi, je n’révèle jamais qu’en fait c’était pour du faux. 

Marguerite - Pour DE faux.

Hugo - C’est pas tellement mieux.

Laurence - J’aime ça. Faire croire à des histoires fausses. Des belles histoires fausses. Comme on fait croire aux enfants à la petite souris, au Père Noël ou aux dinosaures. 

(Hugo hésite à intervenir mais se retient. Marguerite hausse les épaules en levant les yeux au ciel).

Ça fait du bien de faire entrer un peu d’extraordinaire dans cette vie qui n’a rien d’extraordinaire.

Pour le moment, j’y arrive pas. 

Parce que comme mes images poétiques doivent faire vrai et rester discrètes… personne ne voit ce que je suis en train de faire. 

(Elle rit). 

Par exemple, mon dernier acte poétique, c’était la semaine dernière dans la salle d’attente du CPAS. Je me suis assise là où beaucoup de gens pouvaient me voir, mais je n’ai pas non plus crié :« Oyez ! Oyez ! Regardez-moi ! Je vais vous offrir un acte poétique ! »  

Surtout pas ! puisque mon but est d’offrir de la poésie mais sans l’imposer. Seuls ceux qui ont envie d’ouvrir les yeux sur ce qui les entoure le verront. 

Marguerite - C’est pour ça que ma compagnie s’appelle : 

Laurence, Hugo et Marguerite - « Ouvrez l’œil ! » 

Hugo – C’est un peu péremptoire. 

C’est pas exactement ce que je voulais. Mais ma première idée : « Les yeux grand ouverts », je l’ai déjà refilée à un pote.

Marguerite - Un ex pote. On s’est disputé.

Laurence - Donc, j’étais au CPAS et j’ai fait sonner moi-même mon GSM. Je décroche et je me mets à faire comme si, au bout du fil, j’apprenais une super bonne nouvelle. Et je me mets à pleurer de joie, à rire, à pousser des exclamations : « Je suis super contente ! C’est formidable ! J’en reviens pas ! Putain, sérieux ! C’est top ! » etc… Et je tremble d’émotion, et je me lève, comme inconsciente de ce que fait mon corps tellement je suis absorbée par la nouvelle que je suis soi-disant en train d’apprendre, et je me rassois, et je me plie en deux, et je m’agrippe les cheveux et ceci et cela…

Marguerite – J’espérais que ma fausse bonne humeur finirait par se communiquer, par être contagieuse, par faire du bien aux membres du CPAS  qui comme moi, se lèvent à 5h du mat’ pour être à 6h30 dans les premiers à faire la file, attendent jusqu’à 8h20 entassés devant la grille, dans le froid, et encore après, avec résignation, jusqu’à 9h40, jusqu’à ce qu’on daigne enfin appeler leur numéro !

Et b’in finalement, un des mecs de la sécurité est venu me demander de faire moins de bruit parce que je dérangeais la tranquillité de la salle d’attente. 

Laurence - Vous voyez, c’est ce que je disais au début de la conférence. 

J’essaie de faire plaisir. D’être généreuse, de faire de l’art agréable et bon pour la société. Mais ça plaît pas. 

Quand c’est des théâtreux qui me disent que c’est nul, je me réconforte en me disant que c’est pour le plaisir de critiquer. Mais quand c’est même les vigiles du CPAS à qui ça déplaît… Je sais plus quoi faire ? 

Marguerite – Alors j’essaie d’être plus discrète encore. De moins vous déranger encore. 

Et au final, voilà : Il est tellement invisible mon théâtre que personne l’a encore jamais vu. Y’a rien à voir. 

Laurence, Hugo et Marguerite - Eh mais ! 

Marguerite – C’est comme ça que j’aurais dû appeler ma compagnie ! 

Laurence, Hugo et Marguerite - « Circulez y’a rien à voir ! »

Marguerite – Parce que franchement « Ouvrez l’œil ! », c’est du foutage de gueule… 

Si c’est invisible, c’est invisible, hein ! Y’a pas à chipoter… 

Laurence – Mais je renonce pas… Je cherche toujours… 8. Conclusion

Hugo – Je ne renonce pas ! parce que j’en arrive à mon septième projet qui est en fait un projet « à venir ». 

Comme je vous le disais, le but de cette rétrospective, c’est de vous demander de me trouver les solutions. 

Laurence - Moi j’trouve pas. 


Hugo – Vous avez 10 minutes pour répondre à une question simple : comment je dois faire pour que ça vous plaise ?

Marguerite - Et alors, mon prochain spectacle, ça sera l’assemblage de toutes vos réponses

Hugo – Sur chaque potence, vous allez trouver tout ce qu’il faut pour… vous pendre ! Non, je plaisante !

(Il rit).

Vous allez trouver des dictaphones ; 

ou sinon vous pouvez vous filmer là-bas ; 

ou s’il y en a parmi vous qui sont plus à l’aise à l’écrit, n’hésitez pas à laisser vos notes sur les calepins, hein ! On mélange nos idées, y’a pas de souci. On va pas s’enquiquiner avec les droits d’auteur, hein…

Marguerite - Pour que vous vous sentiez tout à fait libres de répondre ce que vous voulez, je ne vais pas vous regarder.

Je sors et je reviens vous libérer dans 10 minutes. Pas avant. 

Laurence – Désolée, moi je voulais vous laisser 30 minutes de quartier libre mais à force de bavardages… ! 

Marguerite - Allez ! Tous ensemble pour notre prochaine création, qu’est-ce que vous en dites ?

Laurence - Moi en tout cas, je suis très excitée par cette collaboration.

Laurence, Hugo et Marguerite – Bonne visite et travaillez bien.   

(Laurence, Hugo et Marguerite sortent. Les 10 minutes s’écoulent.)

***

Hugo – Voilà. Le spectacle touche à sa fin. Ça me ferait très plaisir maintenant de vous retrouver au bar, autour d’un verre pour partager nos impressions. 

Marguerite, bas à Hugo – On n’a plus le temps.

Hugo – Comme je me le disais si bien à moi-même à l’oreille à l’instant, étant donné qu’on n’a plus le temps… 

Laurence - … merci pour votre collaboration à mon prochain spectacle. On a fait une super équipe. 

Laurence, Hugo et Marguerite, en applaudissant le public – Bravo ! Merci ! 

Bravo ! Merci ! 


Fin


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